« Discours parfait ». Philippe Sollers évoque les écrivains qui ont compté pour lui. Et rassemble des écrits qui illustrent la parfaite harmonie d'une ambitieuse aventure littéraire.

Sollers avec le souffle

 


Neuf cent vingt-deux pages. En cette seconde rentrée littéraire, qui dit mieux ? 922 pages de Sollers. Du pur, de l'essen- tiel, du Sollers en quintessence. Comme à l'habitude, certains broncheront sur des usages familiers à l'auteur. Ainsi, la surabondance des citations. « L'art de la citation est, on ne le sait pas assez, le plus difficile qui soit. » Et la littérature, une longue histoire, sans vraie solution de continuité, tout s'y tient, s'y enchaîne (« intertextualité » ?), nul jamais n'invente vraiment, « on peut disposer librement de toute archive », et ça n'est pas Montaigne, cher au lycéen Sollers déchiffrant les maximes sur les poutres de sa tour, qui nous contredirait. On apprend que, dans « Paradis », il y avait des passages entiers recopiés de Dante, que dans chaque ouvrage on trouve un peu de Lautréamont. Qui l'a vu ? L'autocitation, la référence insistante (jusqu'en quatrième de couverture) à ses propres oeuvres ? Complaisance ? Ou désir légitime d'un écrivain, peut-être moins sûr de lui qu'il n'y paraît, de faire apercevoir, d'éprouver soi-même, la cohérence intime de ce qu'il a publié ? Cette cohérence, cette obstination dans des explorations apparemment contrastées mais soutenues par la même exigence, cette unité, seul un point de vue rétrospectif peut en établir l'évidence. Dans l'oeuvre de Philippe Sollers, on les distingue mieux aujourd'hui qu'hier. Et l'ensemble des textes rassemblés dans « Discours parfait » (oui, on peut imaginer titres plus modestes qu'« Une vie divine », ou que ce dernier-là, mais la clef des titres est dans les livres), des articles, des essais, des préfaces, des entretiens, appartenant à des périodes diverses, et pour beaucoup récents, illustre brillamment la parfaite harmonie d'une ambitieuse aventure littéraire.

 

La diversité et le grand nombre des sujets abordés, des oeuvres soumises à un examen au laser rendent téméraire toute recension détaillée ou même synthétique. Il s'agit bien sûr, avant tout, des écrivains qui ont compté pour l'auteur, tous ceux qui sont de sa famille, ce qui n'interdit pas l'intrusion gracieuse de Cecilia Bartoli ou de Marilyn. S'avancent donc, en une troupe mêlée mais fraternelle, Dante, Shakespeare, Sade, Joyce, Beckett, Nietzsche et « Nietzsche encore », Artaud ou Michaud, Stendhal ou Hölderlin à Bordeaux, Stendhal surtout « milanese », « l'épouvantable Céline » qui était un tendre et avait du coeur, Blanchot l'obscur, et quelques peintres : Picasso, Renoir, Van Gogh ou Bacon. On ne s'étonnera pas qu'un Bordelais consacre des pages enthousiastes à Mauriac, à son courage, sa lucidité, son anticonformisme social (Mauriac est, avec Aragon, un des deux qui portèrent Sollers sur les fonts baptismaux, mais Sade, avec lui, ça ne passait pas !). Faut-il trouver plus surprenants, chez cet ex-maoïste point repenti, les éloges ou les plaidoyers - argumentés et dépouillés de tout méchant parti pris - en faveur de Morand ou de Joseph de Maistre? Non. À propos de Saint-Simon : « Concision, raccourci, torsade des adjectifs, improvisation presque folle, chaque séquence est nerveuse et, à vol d'oiseau, comme une intervention de Charlie Parker.»

Qu'est-ce qui unit les écrivains élus par Sollers ? Toujours la vivacité, la rapidité, l'allégresse, l'électricité de la langue, « l'histoire d'amour entre les écrivains et les mots » avec ses « sensations savantes », la conviction qu'une renaissance par le verbe peut advenir. Toujours le lien étroit de la langue avec le corps de l'écrivain, sujet trop négligé. Toujours le rejet du psychologisme, du défaitisme, du moutonnement, du confort ambiants. Toujours la quête (elle peut avoir bien des visages) d'une vérité métaphysique, d'une « responsabilité à accepter l'invisible ». Si bien que, phénomène fréquent en matière de critique littéraire, chaque portrait est un autoportrait. Dans un des textes les plus aigus de « Discours parfait », Sollers s'intéresse aux gnostiques. La gnose distinguait les « hyliques », enlisés dans la matière, les « psychiques », prétentieux et vains, les « pneumatiques », répondant à l'appel d'un souffle. Ni l'appel ni le souffle ne sont absents de ces pages.

 

Jean-Marie Planes, Sud Ouest du 10 janvier 2010

 

« Discours parfait », de Philippe Sollers, éd. Gallimard, coll. Blanche, 922 p., 29,90

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