avril 2009

Philippe Sollers

Le journal du mois

Sollers Journal

Urbi et Orbi


Pâques


Après la scène, hautement surréaliste, d'un pape rencontrant un préservatif dans un avion volant vers l'Afrique, la bénédiction de Pâques, à Rome, pour fêter la résurrection du Christ, a comblé mes attentes. Chaque année. la même silhouette blanche apparaît au balcon de Saint-Pierre et prononce une indulgence plénière pour les assistants, y compris pour les téléspectateurs. Qui n'a pas besoin d'indulgence? Mais l'exercice dont je ne me lasse pas est celui de la répétition, en 63 langues, de la formule« le Christ est ressuscité ». On part de l'italien, on passe vite au français. à l'anglais, à l'allemand et à l'espagnol, et, de là, on se perd dans les petites langues d'Asie ou d'Europe centrale, des groupes ou des individus se reconnaissent dans ces quelques mots, ils crient, ils agitent leurs drapeaux, quelques mots leur vont droit au cœur, d'autant plus que toutes les langues sont mises sur un pied d'égalité, qu'on soit en Lituanie ou en Thaïlande.

Entre nous, je me demande comment les papes s'y prennent pour trouver, chaque fois, le bon accent, la prononciation correcte. Imaginez les répétitions, la convocation de tel ou tel spécialiste, la pose de la voix, le risque de bafouillage ou d'erreur. Voilà du rock concentré, et du meilleur. Certes, le fragile intellectuel qu'est Benoit XVI n'a pas le même charisme que Jean·Paul Il, mais, rien à faire, la mécanique est grandiose, et on a beau lui chercher des poux dans la tête, il s'accroche à sa fonction unique, multinationale, qui peut atteindre, ici ou là, jusqu'en Chine, un clandestin persécuté. Cette fois, innovation, la dernière langue utilisée aura été le latin, la boucle est bouclée.

Quel contraste avec Poutine entouré de lourds popes, avec Obama cherchant toujours à quelle église protestante s'affilier. ou encore avec le dalaï-lama, tout joyeux, faisant toc-toc avec le doigt sur le ventre d'une femme enceinte! Chacun ses goûts.

Là-dessus, j'entends, à la radio, un chef d'entreprise français, catholique, pieusement interviewé par une journaliste, qui déclare qu'il veut se faire « débaptiser », car il ne supporte plus son église, et surtout, dit-il, son "numéro un". Je me demande dix secondes ce que ce brave homme entend par «débaptisation» (une messe noire ?), mais peu importe. Episode suivant: une retransmission du Messie de Haendel mis en scène dans un parking souterrain sinistre. La sublime musique est là. mais niée par une gesticulation et une hystérie constantes qui gênent les chanteurs et se vengent du compositeur. Haendel croyait beaucoup à son Messie, l'homme, le dieu, et l'œuvre. Si on l'écoute, en effet, on est à des années lumiêre de tous les parkings.

Robobama

Le G20 permet d'observer les maîtres du monde qui, c'est sûr, vont surmonter la crise et relancer l'économie planétaire. De ce point de vue, Obama est parfait, très supérieur à ses autres partenaires, fin, élégant, ouvert, effaçant le souvenir désastreux de Bush, tendant les bras, enfin, à l'Amérique latine, inventant des talibans modérés, fermant les prisons de la honte et leurs tortures légales.
D'où vient alors, à travers tous ces sourires, relayés par ceux de sa femme. de ses filles et du chien de ses filles, un imperceptible malaise? Cette machine bien huilée, rassurante, finit par paraître trop belle pour être vraie. Obama, premier robot de la grande politique? Nice Brother, en tout cas. Je ne vois que l'impassible Hu Jintao, et sa froide proposition de monnaie universelle, qui soit à la hauteur technique de ce prince charmant américain.

Nous apprenons avec plaisir qu'après un coup de glace tibétaine, la France est rentrée en grâce auprès de la Chine. Il fallait voir Sarkozy, visiblement content et un peu contrit, serrant la main, pas du tout bouddhiste, de son homologue de l'empire du Milieu. Rapport de force clair et net. Comme dans tout spectacle de haut vol, il faut la figure du Diable: l'Iran, à l'extérieur, reprend ce rôle suicidaire avec détermination.

Ecrivains

Des mères de famille de province me demandent ce que j'ai contre les mères de famille de province. L'une d'elles, enseignante de gauche, me reproche vivement de m'intéresser aux «fanfaronnades» de Baudelaire. Laissons tomber. Et laissons tomber aussi les diverses insultes qui me sont aimablement adressées dans des magazines plus ou moins branchés. L'écrivain espagnol Vila-Matas a raison: " J'ai bien quatre ou cinq ennemis, des écrivains médiocres. mais leur haine est tellement obsessionnelle à mon égard que la seule explication, c'est qu'ils voudraient être moi."

D'Ormesson

Grâce au Figaro et à une publicité intensive, Jean d'Ormesson s'empare de la bibliothêque, rééditions et préfaces à tout-va, volumes en vente pour 9,90 € chez tous vos marchands de journaux. Belle photo de trois quarts, l'œil bleu étincelant d'horizon et surtout de ces 10 centimes que vous économisez grâce au partenariat de France 2 et de France Info. Voici donc des publications de référence des grands classiques avec 32 pages de documents inédits. Jean d'Ormesson est ainsi. tour à tour, Maupassant. La Fontaine. Molière. Stendhal avant d'être également Zola, Flaubert, Hugo, Dumas, Beaumarchais, etc. Il n'y a pas de raison que ça s'arrête. L'entreprise, en pleine crise, est un génial retour aux fondamentaux.

Faites confiance à Jean d'Ormesson et à l'Académie française. A propos de Molière, notre séduisant académicien écrit curieusement: «Au même titre qu'Hugo. que la Déclaration des droits de l'homme, que la baguette de pain et que le béret basque, Molière est un des mythes fondateurs de notre identité nationale.» Je ne vois pas le rapport entre Molière et le béret basque, mais j'ai sûrement tort. Molière a écrit Le Bourgeois gentilhomme. Jean d'Ormesson, avec générosité, vous donne l'exemple incontournable du gentilhomme bourgeois.

Philippe Sollers

Le journal du dimanche du 26 avril 2009

 

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