Philippe Sollers

 

Le seul antimaoïste sérieux

 

 

Mao et Malraux 1965 Mao par Warhol
Mao et Malraux, 1965
Mao par Andy Warhol, 1972

 

 

 

   Mao individu, Mao  sujet  m’intéresse. Cette façon de transformer son corps, dans l’espace et le temps, me semble des plus insolites. Il commence comme une mince jeune fille ramassée, continue avec des airs de prophète sobre dans sa grotte, grossit, insiste sur sa verrue, « signe bouddhique » (selon la belle expression de Malraux), grossit encore et, à ce moment-là, commence à flotter comme un de ces ballons lâchés les jours de fête sur la place de la Paix-Céleste. Et puis, il devient tout simplement une feuille morte. Étonnantes dernières images où il passe au ralenti maximal, à côté de Nixon, de Pompidou, du Pakistanais de service. Mao, technicien du spectacle. La poignée de main, de plus en plus évanescente, détachée, comme s’il disait : « Je vous fais le coup du vide », « Je suis ignorant, je ne connais pas les langues étrangères. » Et c’est vrai, Mao savait qu’il était « peu instruit ». Sauf qu’à ce moment-là on se demande ce que savent exactement les gens présents avec lui sur la scène. Mao parlant d’astronomie avec Bettencourt ! Demandant à Chou si les œuvres de Laplace sont traduites en chinois ! (Il est vrai qu’en chinois cette phrase de Laplace serait épatante : « Si l’on ajoute au mouvement moyen du premier mouvement satellite le double du mouvement moyen du troisième, la somme sera exactement égale à trois fois le mouvement moyen du second. »
)

 

 

  
Mao dans les médias, les bandes dessinées, Mao-Warhol, Mao vestimentaire, Mao  star. 
Autrement dit : un style. Tout le monde est jaloux, c’est un fait de signature, le bruitage augmente ; les transferts s’accentuent. Mao acteur, Mao concis, Mao précis. La dernière boutade de Mao. La dernière phrase de Mao. Deux lignes, et c’est la tempête.

 

 

 

Philippe Sollers

Le Nouvel Observateur, 20 septembre 1976

 

 

 

 

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