Philippe Sollers
 

Le stylo de Philippe Sollers

Philippe Sollers Médium, photo Sophie Zhang

Auteur de près de trente romans et autant d'essais, l'écrivain est également le directeur de la revue L’Infini et de la collection du même nom chez Gallimard. Son nouveau roman, Médium, nous plonge dans la clandestinité des quartiers populaires de Venise. C'est entre la Cité des doges, Paris et l'île de Ré que Philippe Sollers écrit encore et toujours, muni de l'un de ses nombreux stylos. Chacun a sa fonction. Celui-ci lui sert à prendre des notes.

Le Stylo de Philippe Sollers

 

 

 

   J'aime les stylos Parker de taille moyenne, ni trop grands ni trop petits. Les miens sont à plume, avec une pompe à encre bleue et le logo de la marque qui rappelle que les mots sont comme des flèches. D'ailleurs, il sort du sang de cette pompe et lorsque je remplis mon stylo, c'est comme si je me piquais avec une drogue puissante. J'ai choisi ces plumes en particulier car elles glissent parfaitement sans faire de bruit sur le papier « velouté » et à gros carreaux de mon cahier Clairefontaine à spirales. Toujours le même. J'ai fait une grande provision d'encre bleue à Venise en imaginant qu'elle serait imprégnée de l'air de la lagune. J'écris d'abord au stylo puis je tape le texte à la machine à écrire. L'écriture fonctionne comme un indicateur de mon état de santé. Quand je vais bien, je peux écrire très longtemps et sans ratures ; quand je vais mal ou que je suis malade, j'écris très peu de temps. Il faut être capable de se déconnecter de ce à quoi l'on veut nous connecter. Plus le monde se précipite dans le digital, plus je me tiens à l'écart. Loin des tweets et des blogs. Pourtant cela ne m'empêche pas de me renseigner sur mon époque.

 

  Écrire à la main est l'acte réfractaire d'un déserteur de la communication. Cette vie clandestine me permet de mieux analyser ce monde, plus froidement. Les gens ont souvent du mal à se souvenir de ce qu'ils ont lu la veille. La littérature ne laisse plus suffisamment de place à l'imagination du lecteur, elle préfère trop souvent des histoires cinématographiques. Ce stylo appartient à une époque révolue, celle où les ordinateurs n'existaient pas. Celui-ci en particulier me sert à prendre des notes. Un mot, une expression ou une phrase qui me rappelleront une situation, le son d'une voix, un geste et déclencheront une idée ou un paragraphe. J'aime écrire le mot « mort » et le mot « mot ». Leur proximité orthographique est comme un défi que le mot lance à la mort.           

 

 

PHILIPPE SOLLERS

Propos recueillis par Jérôme Badie

 

M Le magazine du Monde, 4 janvier 2014

Philippe Sollers - Médium

Médium

 

 

 

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