Philippe Sollers
Le scandale Pascal

Saint Paul par Poussin

Poussin, Le Ravissement de saint Paul

PascalOn ne se lasse pas de relire ce texte fameux pour l'énergie et le feu de son style (difficile de faire mieux en français). Pascal a été saisi, habité, brûlé, il a vu.

Le christianisme est, et sera toujours, une expérience personnelle, une révélation existentielle. Aujourd'hui même, dans un monde de somnambulisme et d'hypocrisie, de publicité bavarde et de faux témoins, d'ex-criminels reconvertis dans la bien-pensance, de falsificateurs de l'histoire et de ses massacres, cette prose souveraine, cette poésie urgente traverse la page et nous atteint en plein coeur. Que voyons-nous, en effet, à longueur de temps? Des employés au bouchage du néant et de l'infini, des «serviteurs surmenés du vide», des sermons sur fond d'actes de corruption, un grand marché confus de mensonges. La sensation vertigineuse de l'espace sans limites est niée par la mise en écrans du visible. L'abîme de l'infiniment petit se trafique dans le nucléaire ou la génétique. Là-dessus, il faut faire oublier aux êtres humains, désormais indéfiniment remplaçables par la technique, le «petit cachot» où ils sont logés. Sinon, il pourrait leur venir un goût d'absolu, de révolte, voire des pensées de nouveaux révolutionnaires.

Pascal, on le sait, a inspiré directement Lautréamont et Rimbaud, mais aussi, si on y prend garde, Proust, Kafka, Céline, Sartre. D'où sort «la Nausée», sinon des «Pensées»? Evidemment, il y a Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, et non pas celui des philosophes et des savants. Dieu prouvé par la force de l'écriture? Pourquoi pas? «Père juste, le monde ne T'a point connu, mais je T'ai connu. Joie, Joie, pleurs de Joie.» Il écrit ces mots sur un petit bout de papier, Pascal, et il les coud dans sa veste. On appelle ça, comme par hasard, le «Mémorial». «La phrase de Pascal, dit Claudel, vibre tout entière avec une ampleur magnifique.»

Il est bon de rappeler que le vrai christianisme ne peut pas être autre chose qu'un scandale. Ce type, Pascal, était fou. Comme tous les grands écrivains, en somme.


Philippe Sollers


Le Nouvel Observateur Nº1729 SEMAINE DU JEUDI 25 DÉCEMBRE 1997

 

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