Philippe Sollers

 

Philippe Sollers - Médium

Médium

Roman, Collection Blanche, Gallimard, Parution: 2 janvier 2014

 

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Saint Simon Isidore Ducasse Philippe Sollers

MÉDIUM (du latin medius, au milieu) : Personne susceptible, dans certaines circonstances, d'entrer en contact avec les esprits.

 

 

Entretien avec Philippe Sollers

 

- Pourquoi un titre au singulier alors que les « médiums » sont ici multiples ?

 

Il s'agit de différents types de médiumnités qui vont se concentrer sur le narrateur, celui qui est susceptible de sentir ce qui correspond à ses facultés de médium et qu'il découvre petit à petit, que ce soit ce massage médiumnique tout à fait imprévu ou le « produit », pris à des doses variables. Il y a aussi le fait de rentrer en contact avec des personnages qui peuvent être eux-mêmes considérés comme de très grands médiums, c'est-à-dire sentant les situations, devinant ce qui va se passer en observant. C'est le cas de Saint-Simon ou du trop méconnu Lautréamont.

Donc, « médium » au singulier - si c'était au pluriel, toutes ces expériences très différentes ne seraient pas convergentes. Le narrateur est un médium qui découvre sa propre médiumnité en fonction des réponses qu'il reçoit.

 

- Face à la folie du monde, vous préconisez la contre-folie...

 

La thèse, ici, est très simple : nous vivons dans un grand hôpital de fous. Ce n'est pas nouveau qu'on puisse penser que l'humanité est folle, Pascal disait déjà : « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou ». Il n'empêche que devant un certain nombre de preuves concrètes - l'usine des cadavres, la drague par géolocalisation, tous les projets de PMA, de GPA... -, l'expérience de ce XXIe siècle avancé consiste à reprendre toute la question de la folie.

Comment s'organiser pour ne pas être contaminé ? Il s'agit de défendre, par des moyens appropriés, une identité heureuse, qui est une forme de non-folie. Ces moyens, d'ailleurs, demandent peu de moyens : ce n'est pas extraordinaire de louer un petit appartement à Venise, dans un quartier populaire où les gens vivent comme ils ont toujours vécu, et d'y aller une fois par semaine. Quel que soit le moyen, il devra être aux antipodes de la peoplerie ambiante !

 

- Ces exercices de contre-folie évoquent des exercices de retraite spirituelle, mais sans dimension religieuse ?

 

Tout à fait. La contre-folie est une activité : face au mouvement perpétuel de la folie, il s'agit de proposer un autre mouvement perpétuel, selon la formule de Pascal : « Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C'est le mouvement perpétuel. »

Il faut en quelque sorte combattre la folie du monde. Combattre ? oui, c'est une guerre, la contre-folie a une signification politique. À titre concret, il s'agit en effet d'exercices spirituels, comme la lecture des classiques à trois heures du matin ou la prise de substances.

 

- Parmi ces classiques, vous préconisez Saint-Simon...

 

Saint-Simon vit à Versailles, qui est alors le centre du monde, là où tout se passe. Ouvrez les Mémoires: tout ce qu'il y a, ce sont des naissances et des morts, mais le regard, les portraits, sont formidables. Cela dit, Saint-Simon, qui est revenu de tout, ne croit pas en Dieu, mais il croit au Diable!

 

- Comment comprendre « Le français, langue de la plus grand mémoire possible »...

 

Il n'y a que les Français qui ne s'en rendent pas compte, mais la France est le pays de la ré-vo-lu-tion. Pas seulement de la « Révolution française », mais de la révolution mondiale, qui n'a pas encore produit tous ses effets. Donc, c'est, ou ça a été, la « grande nation », comme disaient les Allemands, où l'histoire a tout d'un coup changé de dimension. C'est l'aspect politique du roman : la patrie, c'est la langue, et je pense que le français est la langue qui peut traduire absolument toutes les autres, parfois en mieux. C'est aussi la mémoire dont les Français sont accablés, ils se sentent coupables, et ils n'ont peut-être pas tort. C'est donc une question d'Histoire, il me semble que l'Histoire se sent dans ce livre. Il n'y a là aucune proclamation, mais une distance qui montre la dévastation dans laquelle on vit. Mais sans s'indigner ni réclamer, simplement montrer ! Montrer, aussi, que la mémoire disparaît : la lecture est en danger, la mémorisation elle-même est en danger.

 

 

PHILIPPE SOLLERS

Bulletin Gallimard janvier/février 2014

>>> lire le début du roman

 

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