Journal du mois

novembre 2011

Philippe Sollers
JDD
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Leurro


Finalement, cet euro n'est-il pas un leurre? Nous courons après dans un tourbillon, mais j'aimerais savoir qui manipule le leurre et l'argent du leurre. Vous avez sans doute remarqué que nous sommes désormais 7 milliards d'habitants sur cette planète. Comme il y a plus d'un milliard de Chinois en pleine expansion économique rapide, il était fatal que l'euro en crise aille chercher de l'aide de ce côté-là. On assiste alors à des indignations diverses, surtout à gauche. Un vieux socialiste déclare que traiter avec les Chinois est une capitulation digne de "Munich". Ces Chinois sont inquiétants, bien sûr, mais les comparer à Hitler frôle quand même la démence. Un pas de plus, et tous les vieux clichés racistes seront de retour, "péril jaune" compris.

Qui va sauver l'euro et l'Europe? Qui nous protégera de la dictature des marchés? Obama? Certes, on l'a vu en idylle rapprochée avec Sarkozy, mais cette lune de miel durera-t-elle? Le dollar n'est-il pas foncièrement jaloux de l'euro? Leurro pour leurro, j'admire la parade qui consiste à nommer des techniciens de l'opacité financière au poste de commandement. L'Italie et l'Espagne viennent ainsi de retomber entre les mains des jésuites, Monti et Rajoy étant deux élèves surdoués de la Compagnie.
La rigueur étant à l'ordre du jour, elle va s'aggraver dans des proportions encore inconnues pour la France et son triple A problématique. Heureusement, le futur président Hollande a déclaré : "Je veux donner un sens à la rigueur." Noble programme, qui me rassure pleinement, moi et mes modestes leurros. Je compte sur Hollande pour me préserver des Chinois.

La Corrèze, voilà l'avenir : là, au moins, dans la France profonde, tout le monde est normal.

 

Baisers

Je ne comprends pas les réactions frileuses au sujet de la campagne photographique de Benetton. Elle choque sans doute des cathos arriérés qui, de façon pathétique, manifestent, avec bougies, devant des théâtres ou des cinémas. Mais Benoît XVI n'est pas mal du tout dans son étreinte avec un imam. Après tout, ils ont le même Dieu, à quelques variantes près. Du moment qu'on ne voit pas le pape enlacé avec le dalaï-lama, les Chinois se tiendront tranquilles. Mais je propose d'autres images. Angela Merkel s'embrassant elle-même serait une bonne idée.

Pour une campagne hexagonale, on peut révéler brusquement des affinités électives, des solidarités cachées. Une photo bouche à bouche de Sarkozy et Hollande s'impose. Je vois bien un baiser de paix entre DSK et Nafissatou Diallo. Autres propositions : Eva Joly se jetant sur Marine Le Pen, Montebourg sur Christine Lagarde, Mélenchon sur Cécile Duflot, Manuel Valls sur Jean-François Copé, Bayrou sur Claude Guéant, Moscovici sur Carla Bruni. Plus fort encore : un plan Atlantique avec Juppé, maire de Bordeaux, roulant un patin à Ségolène Royal, future députée de La Rochelle. Ou alors, carrément, un plan western hard : Cohn-Bendit et Nadine Morano.

 

Viols


Des massacres quotidiens en Syrie, des émeutes sanglantes en Égypte, considérez votre chance de vivre dans une niche fiscale, même rabotée, puisqu'il faut bien que les populations s'habituent à payer les extravagances des banques. La Corrèze est mystérieusement protégée de ce qui devient un problème national : viols à répétition, avec meurtres hallucinants des jeunes générations, fillette poignardée, jeune fille violentée et brûlée en forêt. Rien de plus sinistre que ces « marches blanches » dans les villages touchés par cette irruption de folie furieuse.

À côté de ces symptômes tragiques, les incartades plus ou moins glauques de DSK, ont l'air de lourdes plaisanteries. Le plus curieux est qu'il ait eu besoin de partenaires masculins pour ses "parties fines" (curieuse expression des médias à propos d'une absence flagrante de finesse). Cependant, tout s'arrange : DSK est en Israël, il se laisse pousser la barbe, une illumination divine serait bienvenue. Je renonce à mon projet initial de lui servir de nègre pour ses Mémoires érotiques, avec une longue introduction sur les particularités de la sexualité socialiste (Hollande, qui veut ressembler à Mitterrand, n'est visiblement pas au courant du sujet). Alors quoi ? Ma conversion ne serait pas un mauvais titre. Je l'enregistre à Jérusalem, je brode un peu, je montre ma science biblique, et DSK sort de son bourbier par le haut. Le voilà guéri et remis en selle, avec un plan tout neuf pour le sauvetage du leurro.

 

Éducation


Il est urgent d'instituer, dans tous les lycées et collèges, des cours de goût. Ils seront obligatoires, comme ceux du catéchisme autrefois. Les jeunes gens et les jeunes filles y seront appelés à se respecter, et tout simplement à se regarder et à s'écouter. La diminution des viols deviendra évidente. Programme : le lundi, architecture, le mardi, peinture, le mercredi, musique, le jeudi, sculpture, le vendredi, littérature. Chaque élève devra savoir réciter par cœur deux ou trois fables de La Fontaine, et quatre poèmes de Baudelaire tirés des Fleurs du mal. Exemple : "Mais le vert paradis des amours enfantines,/Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,/Les violons vibrant derrière les collines,/Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets…" Etc.

Livre à lire et à relire : Histoire de ma vie, de Casanova*. Chaque élève devra réciter ce paragraphe : "Le tempérament sanguin me rendit très sensible aux attraits de toute volupté, toujours joyeux, et toujours empressé de passer d'une jouissance à l'autre, et ingénieux à les inventer." Et aussi : "En me rappelant les plaisirs que j'ai eus, j'en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j'ai endurées et que je ne sens plus. Membre de l'univers, je parle à l'air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d'hôtel le rend à son maître avant de disparaître."

On ne tiendra aucun compte des protestations intempestives des parents d'élèves. Les projections de reproductions de Fragonard, Manet, Picasso, auront un succès fou. Quant à vous, vous devez, séance tenante, vous procurer le catalogue somptueux de l'exposition "Casanova, la passion de la liberté" à la Bibliothèque nationale. Il coûte seulement 49 leurros. C'est pour rien.

* Voir aussi mon Casanova l'admirable, Folio n° 3318.

Philippe Sollers

Le Journal du Dimanche du 27 novembre 2011

 

 

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