Philippe Sollers

 

 

Philippe Sollers

La Deuxième Vie

 

postface de Julia Kristeva

parution : 14 mars 2024, Gallimard

 

extraits:


On oublie que le vieux Dieu est mort d'ennui, à force de gérer l'incroyable bêtise de ses créatures humaines. Le nouveau Dieu n'a rien d'humain, et choi­sit ses croyants par révélation personnelle, en leur offrant, par là même, une Deuxième Vie. Ces révéla­tions se font soit par illuminations soudaines, soit à tra­vers des expériences multiples, dont la maladie. Le nouveau Dieu guérit, il prévient, il sauve, il est là quand on ne l'attend pas, inutile de l'appeler, il ne répond pas. Il peut surgir d'un rayon de soleil ou d'un léger coup de vent. Grâce à lui, je sais que ma Deuxième Vie fonctionne.

 

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Si j'en crois la Théologie, j'ai droit, après ma résurrection, à un Corps Glorieux, dont je connais les principaux caractères : impassibilité, clarté, agilité et subtilité. J'ai beaucoup travaillé sur l'impassibilité dans ma première vie, à cause de la maladie. La clarté me paraît naturelle, l'agilité est ma spécialité, la subtilité me permet de traverser sans effort toutes les matières dures et brûlantes.

 

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Maintenant, j'approche du trou noir qui occupe le centre de notre galaxie. J'ai donc parcouru, en quelques secondes, une distance de 27 000 années­lumière, et je peux vérifier l'exactitude des photos télescopiques qui ont réussi à le trouver, ce trou, comme un point minuscule du ciel, avant de suggérer son immen­sité captivante qui ne laisse échapper aucune lumière. On ne peut le voir, ce trou, qu'en ombres chinoises, par contraste sur un fond lumineux, celui du disque de gaz et de poussière, chauffé à blanc, gravitant autour de lui à une vitesse folle. Il a fallu plus de dix ans pour obtenir l'image d'un objet lourd comme 4 millions de masses solaires, qui apparaît inobservable, avec un pour­tour orangé. Je suis heureux d'être contemporain de cet événement, dont j'ai sans doute rêvé à l'âge de 7 ou 8 ans, période où un garçon sensible et paranoïaque s'intéresse de près à la fin du monde.

 

Ph.S.

 

 

Picasso, L'Étreinte, (1969) détail.

 

Postface

LE VIVACE AUJOURD'HUI

Julia Kristeva

 

Un Sollers inconnu ou méconnu se révèle dans cette fugue méditative que vous venez de lire. Ayant vécu une ou plusieurs morts, le Blanc terminal – mais joueur – développe une Deuxième Vie. « Pensée en acte » et défi à la « société finale », elle éprouve le néant en soi pour éclairer le monde, tel un soleil noir sur fond lumineux, image inachevée de la matière noire.

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Partir pour la Suisse ? Sollers y renonce, le « suicide n'est pas une solution »... Et personne « n'entre » dans la Deuxième Vie. Elle est là depuis toujours. Mais le Migrant se souvient de sa « première mort », de la main droite de l'enfant tendue vers la Vierge Marie...

Toujours sur deux fronts : première vie, Deuxième Vie. Pour mieux continuer à mener La Guerre du Goût (1996) qui brocarde « la famille et la famille sociale », Gros Animal précipité vers sa « phase terminale ». Son arme première et ultime, la souveraineté de la langue : « L'avantage du français, c'est sa concision et sa commotion. Il n'est pas fait pour communiquer mais pour abréger, juger, tuer » (Médium, 2004).

 

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Son état s'aggrave. Lumineux regard qui prolonge la pensée dans les combats du corps, ultime signe du sacré :  « Je pars. » L'iris marron s'assombrit, presque « outrenoir », comme dans la toujours présente Étreinte. Le blanc de l'œil disparaît, rien que l'irruption d'une énergie noire, inhumaine, étreinte absolue. Je m'entends dire : « Avec toi ». Philippe se tourne vers le cahier, sa voix frémit : « C'est tout, c'est bien. On part ? » Je confirme : « On part. » Plus tard, j'ai retrouvé cet accord déjà scellé dans L'Étoile des amants (2002).

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J.K.

 

 

 

 


 

 

"La Deuxième Vie" de Philippe Sollers : un évènement littéraire - L'édito culture d'Arnaud Viviant (France inter)

>>> lire la chronique d'Arnaud Viviant

 

 

 

 

La Deuxième Vie à Shanghai, photo : Nicolas Idier

 

 

"La Deuxième Vie" de Philippe Sollers fait tomber les écailles des yeux

d'Éric Naulleau (Le Journal du Dimanche)

 

Sollers, l'éternel retour, par Anthony Palou, Le Figaro du 18 avril 2024

 

 

 

Le Nouvel Obs du 28 mars 2024, par Didier Jacob

 

 

 

 

 

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