Imaginons
que c'est en consultant ce livre que Freud eut la première impression de sa
formule célèbre : « L'hystérie est une œuvre d'art déformée. »
L'intuition
de Charcot et Richer, ici, touche à la fulguration géniale: tout y est, sauf
l'essentiel, à savoir la mise à plat du sexe. On voit bien se dessiner ce qu'il
en est de l'accès sexuel mais l'impensable, ici, est qu'il s'agisse d'une réponse. À quoi ? C'est toute la
question.
Sans
l'intervention christique, nous ne saurions rien de l'hystérie. Sans
l'intervention de Freud, nous ne saurions rien de ce savoir. La boucle est
évidente. À l'exception de l'incarnation de la parole dans un corps impossible,
il n'y a que des corps possédés. Ça demande à ne pas se montrer. La grande
honnêteté de la crise hystérique (en quoi elle a toujours raison sur
l'hypocrite raison présente) est de manifester le lit, la torsion de cette
possession. L'hystérie est une façon d'exhiber que le sexe n'arrête pas de
chasser une énonciation qui dévoilerait l'incomplétude du corps. Au nom de quoi
« chasse-t-on » le démon ? Du Père, du Fils et du Saint-Esprit, c'est-à-dire
de l'anti-matrice. Le voilà qui sort du crâne, de la bouche, sous forme
dégoûtante de phallus ailé, preuve que la queue est tout aussi parasitaire que
le verbe, et qu'il n'y a d'existence qu'entre ces deux bords. Pour le prouver,
une fois pour toutes, il fallait bien qu'une parole se dît corps, et un corps
parole, et que quelqu'un propose la rallonge pratique de le démontrer à tous
les coups.
Fraîcheur
de ce livre : le matériel est réuni, deux mille ans sont là, dans la salle de
présentation, la découverte aura lieu mais pas tout de suite, prenons le temps
de regarder ce moment naïf de l'hystérie, elle est devenue plus rusée,
invisible, mais c'est bien la même chose, le même arc tendu dans le refus
convulsé de la voix qui vaudra comme anti-coït. Hommage négatif et noué au
phallus absent, délétère, la crise du NON démoniaque se perpétue sans cesse
dans les recoins du décor. De quoi jouit le Diable ? D'un sujet qui jouit in
absentia. Du spasme inconscient prêt à détruire son support pour prouver qu'il
y a du rapport sexuel quand même.
Admirable Charcot, il est au plus près de la glaciation primordiale (son fils,
mort en 1936, sera un spécialiste océanographique des régions polaires et
sombrera en mer sur le Pourquoi pas ?).
L'œuvre
d'art est donc une hystérie réussie. On comprend qu'elle soit rare. Il y faut
la délégation du sujet à un signifiant qui jouit à sa place, soit la
sublimation elle-même qui relève de l'au-delà de la perversion. Il n'y a pas à
s'y tromper : la mise au point est éminemment jésuite. Contre-Réforme, baroque,
pour tenir les spires. Rien ne doit nous étonner dans le fait que saint Ignace
ait l'air particulièrement doué pour l'exorcisme et que le génie de Rubens
traverse aisément ces parois. Gonflement du cou, révulsion des globes
oculaires, renversement en arrière, l'art catholique n'a pas froid aux yeux, il
constate, note, décrit, intègre la crise. Les convulsionnaires de saint Médard
se pressaient vers le jansénisme, c'est-à-dire vers la pureté cadavérique
protestant de son innocence. La tombe du diacre Pâris, quel symbole ! À quel
utérus embelli la pomme imaginaire ? Réponse pontificale : Rubens ou Bernin.
Même l'épilepsie de Dostoïevski peut se comprendre, hystériquement, comme un
trop de charge orthodoxe. Freud, ici, a cafouillé comme tout le monde, ainsi
que nous nous sommes permis de le démontrer.
On
remarquera que Charcot et Richer tournent court à propos de l'extase. Certes,
ils n'ont pas la vulgarité d'un Clérambault tout friand de ce qu'une érotomane
pourrait lui révéler de son appétit de curé.
Mais enfin, ils sont dans le ton de l'époque, aggravé mais pas tout à fait
dépassé par Freud lui-même, c'est-à-dire dans l'incapacité de se demander par rapport à quoi on tient tellement à
se convulser. Eh ! Diable ! Justement par rapport au fait qu'on pourrait enfin
en sortir, de la matrice, c'est-à-dire aussi de la médecine à qui tous ces
efforts sont dédiés. L'hystérie fait de la déformation d'art parce que,
précisément, si Dieu existait, ce serait un artiste, et qu'il faut à tout prix
se mettre à sa place pour l'en empêcher. Ainsi va la comédie, de l'hôpital au
musée. Au passage, le saint, la main levée, fait signe vers une autre topologie
qui consiste à n'être. On l'a beaucoup peint autrefois, quand le réceptacle
n'hésitait pas à faire la roue de Pan devant lui.
Où est-il passé aujourd'hui ? C'est sûrement encore une question de Nom.
Cherchons.
Philippe Sollers
Juin 1980
* Ce texte
sert de préface à l'édition italienne de Les
démoniaques dans l'art.
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